Les traumatismes d’enfance qu’on traîne à l’âge adulte
Au moment où j’écris ce texte, il est 1h du matin. La personne avec qui je vis en colocation m’a dit qu’elle rentrait dormir à l’appartement. Cet insignifiant détail pour plusieurs est dangereux pour moi, car je ne peux pas dormir tant et aussi longtemps que la personne ne tourne pas la poignée de porte. Et je sais que c’est à cause d’un traumatisme vécu durant mon enfance.
Petite, ma mère était joueuse compulsive, son dada à elle, c’était le bingo. Peu importe le jeu compulsif, quoique principalement ceux qui nécessitent de sortir de chez soi, eh bien, on sait à quelle heure il y a un départ, mais pas nécessairement l’heure d’arrivée. Lorsque ma mère quittait l’appartement pour aller jouer, j’étais incapable de m’endormir tant et aussi longtemps qu’elle ne revenait pas. Pire encore, je regardais par la fenêtre sans arrêt pour voir sa voiture arriver, je regardais l’heure aux cinq minutes. Même si la fatigue était insoutenable, mon corps refusait de s’endormir ou s’il le faisait, c’était par coup de minutes parsemées de cauchemars où ma mère ne reviendrait jamais.
Ça m’a pris un long moment, rendu adulte, pour réaliser que ce rituel malsain de ma jeunesse m’avait suivi. Quand j’allais chez mon frère et qu’il me disait « je pars, mais ne t’en fais pas, je vais revenir tantôt », même scénario. Je ne peux tout simplement pas dormir tant qu’il n’est pas revenu. Et honnêtement, je ne comprends pas la connexion de mon cerveau. Est-ce la peur ? La dépendance affective ? Est-ce simplement un traumatisme en bagage qui traîne dans le coin de ma tête ?
Avec mon colocataire, ça a causé des frictions, car je lui demandais toujours s’il rentrait dormir à l’appartement. On s’entend qu’en colocation, les allées et venues de chacun, ça ne regarde pas l’autre tant que c’est respectueux. Mais je ne pouvais pas m’en empêcher. Si je savais qu’il ne rentrait pas, je pouvais tout fermer et dormir paisiblement, car je savais que personne n’était censé être à l’appartement. Dans le cas contraire, je dois systématiquement entendre la personne revenir pour m’endormir. Ce qui fait qu’il est 1h du matin et, même si je suis fatiguée, j’écris ce texte à la place. Sinon, je serais à regarder par la fenêtre en espérant voir son véhicule se stationner, ne mettre aucune musique ou un livre audio pour entendre la porte ouvrir. C’est problématique, mais c’est également compulsif.
Ça me fait réfléchir tout ça, parce que je me demande à quel point certains détails (ou routine) qui semblaient anodins au quotidien lorsqu’on était jeune peuvent réellement affecter notre vie d’adulte. Il n’y a pas que du négatif, par exemple, la place que tu prends quand tu t’assois à la table à manger chez un membre de ta famille. C’est probablement souvent la même et celle que tu as « hérité » quand tu as pu passer de la table des enfants à celle des adultes. Il y a aussi certains tics qu’on apporte dans notre bagage qui nous viennent de nos parents, que ce soit certains mots ou certains gestes. Ici, on parle d’événements normaux, sains, qui viennent avec l’environnement dans lequel on a été élevé.
Mais lorsqu’il est question de traumatisme, ce n’est pas pareil. Attention, je ne parle pas ici d’un trouble de stress post-traumatique, qui est très différent, je parle plutôt de certaines peurs qu’on vivait durant l’enfance qui sont restées. Pour certains, c’est la peur du noir, car leurs parents refusaient de leur mettre une veilleuse, d’autres c’est une aberration de certains aliments, car ils en mangeaient trop souvent enfant. Et quelquefois, comme moi, c’est d’être incapable de dormir même si la personne m’a assuré revenir.
C’est fou à quel point la peur peut jouer un grand rôle dans la santé mentale et le psychologique d’une personne. Une peur souvent irrationnelle. En fait, totalement irrationnelle. Car la peur qui vient avec ce comportement, du moins dans mon cas, est de ne pas voir la personne revenir. Pourtant, les chances que ça arrive sont très minces. Quoique dans mon cas, c’est déjà arrivé plusieurs fois et je n’ose pas vous dire à quel point la panique était intense dans ma poitrine…
Ce soir, j’ai une petite pensée aux familles qui ont perdu des proches. Qu’ils soient décédés ou disparus. Je n’ose même pas imaginer la souffrance de vivre un tel événement. D’attendre un retour qui n’arrive jamais.
Peut-être que ce n’est pas seulement un traumatisme traîné à l’âge adulte. Peut-être est-ce seulement la peur de perdre ceux à qui on tient.
C’est une réflexion pour un autre jour.
-Jessica Di Salvio
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