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Madame Simone, moi et le TPL

J’ai mon café à la main, dans l’autre, un cahier de notes. Me voilà prête pour la réunion du lundi comme tous les lundis matin à la résidence.


– Une nouvelle intégration arrive demain! Annonce Alexandre, mon partenaire du CIUSSS.


Stupeur autour de la table. Comme si la nouvelle surprenait quiconque. Ça fait une semaine que madame Tremblay a quitté sa chambre. Le guichet d’accès n’attend jamais longtemps avant de remplir les espaces libres dans les milieux de vie en santé mentale. Non, le suspense, ce que tout le monde veut vraiment savoir, c’est : qui est-ce qui comblera la place vacante ? Quel client modifiera l’atmosphère toujours un peu fragile du genre de milieu où je travaille. Moi-même, j’avoue, je suis intéressée. Alexandre nous a tous accrochés à ses lèvres.


– C’est une TPL…


Trois lettres, même pas de prénom, de nom de famille. Trois lettres. C’est tout ce que ce professionnel trouve à dire pour décrire un humain qui s’établira ici. Et neuf visages autour de la table viennent de changer d’allure. TPL. Trouble de personnalité limite. Ça pourrait aussi bien dire « catastrophe à l’horizon » parce qu’à voir la réaction des gens dans cette salle de réunion, qui pourtant travaillent tous dans le domaine, on voit bien que ces lettres alourdissent les épaules de ceux qui les portent. Juste à voir la face de mes collègues, je sais que personne ne voudra du dossier sans même l’avoir consulté... et sans avoir rencontré la cliente.


– Et vous n’avez pas lu le dossier. Consommation de drogue, d’alcool, acting out, menace suicidaire quand ça ne va pas, sans jamais de passage à l’acte, clivage... Continue à déblatérer Alexandre.


Moi, je n’écoute plus. Quand Alexandre choisit de divulguer uniquement les points les plus péjoratifs des gens pour faire sensation, j’arrête. Je médite. TPL. Personne qui a mal à sa vie, qui craint l’abandon, qui ressent un grand vide intérieur et des émotions très intenses, en dents de scie, et qui, quand ça devient insoutenable, utilise des moyens moins adaptés comme l’automutilation, la consommation, les conduites à risque, etc. pour soulager une souffrance énorme. Elle pensera au suicide, passera à l’acte parfois et malheureusement, peut-être réussira-t-elle tellement la douleur interne ne se tolérera plus. Mais vous savez, si vous avez reçu un diagnostic de TPL, attendez-vous parfois à des réactions comme celles de mes collègues. Ah ! Il n’y a rien à faire avec des TPL... Ces personnes manifestent un manque constant d’attention. Il ne faudrait surtout pas trop leur en donner parce que la personnalité limite devient insatiable. Vous en laissez un peu, et puis elle n’arrête pas. Elle ne possède pas de limite. On se doit de lui mettre un cadre serré. Aussi, elle manipule. Bla-bla-bla.


– Va lui falloir un plan d’intervention avant qu’elle arrive. Parce qu’il parait qu’elle gobe de l’énergie cette madame-là. La travailleuse sociale de l’hôpital l’a confirmé. Madame Simone demande constamment des choses. Ça n’arrête jamais.


Mon crayon fait des fleurs dans mon cahier de notes. Comme personne ne dit rien d’intelligent, je n’écris rien d’intelligent. Oh, je ne doute pas que cette madame Simone testera le milieu parce qu’elle n’aura pas choisi d’aboutir ici, que ses traits de personnalité seront mis à épreuve dans ce flot de nouveautés et qu’on devra s’adapter à elle, comme elle à nous... Mais nous recevons des humains, pas des diagnostics que je me retiens toujours de hurler à Alexandre. Il semble tellement connaître et reconnaître les troubles de personnalité, lui qui travaille avec moi depuis 4 ans déjà sans se douter le moins du monde que s’il me trouve si bonne et empathique avec cette clientèle, c’est que moi aussi j’ai un trouble de personnalité.


Comme quoi personne ne se résume à trois lettres... et que ça existe aussi des gens qui s’en balancent des étiquettes.


Chloé C.

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