Maudite folle !
« Maudite folle!»,
« C’est un débile mental»,
« Ça va pas ben dans sa tête !» etc.
Combien de fois mon ex a pointé du doigt quelqu’un au comportement dérangeant, étrange ou excentrique en disant ces mots. Alors moi, je plantais mes yeux dans les siens et lui demandais inexorablement : « Si tu considères cette personne ainsi, moi je suis quoi? » Après tout, j’étais affublée d’un paquet de diagnostics de santé mentale, j’avais séjourné plus de deux ans en tout et partout sur des unités de psychiatrie, j’étais bardée de médicaments, je vivais souvent des présents déchirés, prisonnière de ma tête et de mes habitudes alimentaires complètement tordues.
Il bafouillait : « toi, ce n’est pas pareil » et il s’empressait de changer de sujet.
Moi, je restais avec un grand malaise. La folie? Qu’est-ce que ça pouvait bien être? Délaissée de la psychologie et de la psychiatrie dans les années soixante-dix, car trop vague et générale (en plus d’essuyer de plus en plus de connotations péjoratives), l’appellation “folie” a laissé la place à des termes plus spécifiques tels psychose, dépression, trouble anxieux, etc. Désigner quelqu’un de fou aujourd’hui semble aussi gratuit, méchant et dénudé de sens que le traiter de con ou de stupide. Rien de très glamour et surtout rien d’ancré dans quelque chose de très concret.
Il est si facile, lorsqu‘un comportement n’est pas compris, d‘y voir de ”l’anormalité”. Et dans ces moments-là, bang, la personne devient ”folle “ ( mot souvent précédé d’une multitude de jurons ecclésiastiques). À peine plus évoluée que les années où elle qualifiait “fou du village” la personne déficiente intellectuelle, tsa, psychotique ou simplement différente, notre société catégorise facilement et souvent seulement de visu la “folie”.
Moi, tout ça me fait un peu peur. Je refais mon historique, évalue ce qui chez moi a pu « dépasser », ce qui pourrait être jugé de « fou ».
Est-ce que ça compte la fois où en manie, j’ai réussi à contacter un paquet d’artistes pour qu’iels envoient un mot d’encouragement à mon chum parce que j’étais hospitalisée et que je trouvais qu’il méritait du soutien?
Est-ce que ça compte les fois où, à cause de mon trouble alimentaire, j’ai uniquement mangé des carottes sur une trop longue période de temps que mon nez et mes doigts se sont teintés d’orange dû à la prise de béta-carotène excessive?
Est-ce que ça compte les moments de crises à me frapper pour diminuer la douleur interne ? Les moments où effondrée, je laissais mes larmes couler même en public?
Et les refus de m’alimenter?
Et les binges suivis de comportements compensatoires dans des salles de bain publiques?
Et est-ce qu’on doit aussi calculer les envies suicidaires et tout ce qui les entoure?
J’arrête la liste. Tout le monde pourrait en avoir une , pas seulement les personnes souffrant de problématiques en santé mentale. On a tous nos zones d’ombre qui nous éloignent de la "norme" ».
Au fond de moi, je le sens, je refuse et refuserai toujours catégoriquement l’étiquette pour les autres ou pour moi de « folle” ou de ”fou” à moins que…
…je tombe folle raide de quelqu’un et qu’iel me fasse faire des folies grâce à ses idées fofolles.
Alors là oui, j’assumerais de devenir une "maudite" folle… l’espace d’un moment de pure et douce folie.
Chloé C.
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